Membre du parlement des écrivaines francophones, l’autrice et comédienne malgache MIchèle Rakotoson était présente aux Voix d’Orléans les 7, 8 et 9 octobre 2021. Elle a dénoncé la domination masculine au cours de la conférence femmes et violences. Des paroles fortes et une colère froide et assumée qui se passent de commentaires.
par Claire Boutin
Avant toute chose, je me situe.
Je sais ce qu’est le viol. Je le sais dans ma chair.
Je sais ce qu’est être battue. Je l’ai vécu. Je sais ce qu’est l’humiliation. J’en suis revenue et je sais me défendre. Je peux donner des coups.
Je sais ce qu’est le statut économique minorisée. Je ne ferai pas une dissertation mais je sais gérer le peu.
Je sais ce qu’est un regard condescendant, on ne me la fait pas. Maintenant, je cogne.
Je sais ce que c’est qu’être une femme noire, issue de l’un des pays le plus pauvre du monde (Madagascar) et je dis : « Et alors ? » C’est comme ça et ce n’est pas autrement. Essayez si vous y arrivez !
La résilience est venue et elle a fait de moi une femme particulièrement solide et sereine. Et aujourd’hui j’ai envie de dire que l’une des plus grandes violences que j’ai vécues en tant que femme fut peut-être symbolique.
Montre-moi tes jolis contes
Un jour dans un marché en Provence, dans ce pays-ci, un monsieur très gentil m’a sorti : « C’est vrai que tu écris ? Ah que c’est mignon ! Montre-moi tes jolis contes. » Jusqu’à maintenant je suis sidérée et je crois que mes copines aussi. Ce monsieur était particulièrement disons limité. Mais malheureusement, il ne fut pas le seul car souvent cette phrase m’a été dite : « Tu peux me lire tes jolis contes ? »
D’abord, pourquoi le tutoiement ? Est-ce-que moi je l’ai tutoyé ? L’aurait-il fait si j’avais été un homme ? Et pourquoi ce doute sur le fait que je puisse écrire ? Est-ce-que ça m’était interdit ? Parce qu’alors quand cela s’est passé, j’étais une femme jeune, colorée et belle. Et je me souviens de mon père, malheureusement il avait raison : « Ce sera plus dur pour toi que pour les autres. » Ce fut très dur.
Donc, il y avait pour moi un diktat tacite : j’étais un bel objet exotique donc « sois belle et ferme ta gueule ! », pardon j’ai écrit « sois belle et tais-toi ». Et comme on dit en malgache : « Ne joue pas les poules qui chantent, c’est au coq de chanter, pas aux poules. »
« Montre-moi » m’avait-il dit en me tutoyant. Du haut de sa suprématie, il daignait vouloir jeter un regard sur mes écrits de femme et éventuellement les corriger. Merci, chef, j’ai entendu mais joli petit con, comme on dit : « va te faire ….».
Sois belle et tais-toi
Exit toute acceptation sur les analyses que je pouvais faire, sur les connaissances et les savoirs politiques, sociologiques ou autre expériences et connaissances du terrain. Non, sois belle et tais-toi. Mon rôle désigné était conteuse, de jolis contes pour enfants afin de les endormir. J’étais donc une nounou. C’est très beau une femme, c’est mignon une femme. Ça sait endormir les enfants une femme. Donc, je préfère ne pas faire de commentaires.
Il y a des clichés qui survivent à tout. Et là, je vais être plus sérieuse. la formatisation des têtes a la dent dure. Une femme est belle et elle ferme sa gueule, pardon, elle se tait. Et l’image donnée à certaines ou certains est indestructible. Passons, nous ne sommes pas là dans un discours militant, quoique. Et je ne suis pas là en train de dire « femmes, belles, solides et imagerie coloniale » . C’est un autre débat.
Tu es vieille, dégage à l’hospice !
Mais, quand même, on est en face d’une architecture sociale, psychologique, économique, qui donne une place plus que congrue aux femmes. Nous n’existons pas, il faut se battre tous les jours. Et ces femmes qui ont une place congrue sont plus que fragilisées. J’irai même plus loin, il y a une place qui est désignée pour les femmes, qui est la non-existence. Nous n’avons pas le droit d’exister. Nous sommes le complément de l’homme, nous sommes sorties d’une côte de l’homme, nous devons élever les enfants qui après vont dire « maman maintenant tu dégages, nous on est grands. » Et donc, direction les EHPAD. Même chez nous, il y en a.
Tout est acceptable et l’on peut tout faire parce que l’autre, parce que nous sommes non-existantes. Si nous sommes là aujourd’hui à Orléans, c’est que l’on est en train de se battre pour avoir une existence. Et celle qui subit a le devoir de se taire car la dignité féminine c’est de se garder très digne et se taire. Il n’y a que les grandes gueules mal élevées qui parlent.
Ce qui me terrifie, c’est le consensus autour de cette question. Tout converge vers cette image de la femme qui est belle et se tait. La pire des choses est sûrement de les voiler de noir mais entre nous soit dit, il y a aussi une autre réalité qui est aussi terrible, c’est de les réduire à être de beaux corps exploitables : « Montre-moi tes seins, montre-moi ton ventre, montre-moi ce que tu peux. » Tu es un bel objet mais quand tu es vieille , tu n’es plus un bel objet exploitable, donc dégage à l’hospice.
Le règne des algorithmes
‘est là que la femme âgée, noire, et issue de l’un des pays le plus pauvre du monde où le numérique n’existe quasiment pas est inquiète. Actuellement, tout fonctionne sur les algorithmes. Nous sommes les premières à ne pas exister mais après quid de nos enfants, quid de nos hommes, quid du reste ? Que réserve l’avenir aux femmes de ces pays-là, aux femmes de ce pays-ci ? L’exclusion de tout et surtout des droits humains les plus élémentaires ?
Excusez- moi mais c’est la politique qui parle. Il y a là un processus qui permet toutes les dérives et il démarre avec les femmes.
Lire aussi : L’ Appel d’Orléans