Les 7,8 et 9 octobre 2021, la mairie d’Orléans a donné une carte blanche au Parlement des écrivaines francophones dans le cadre des Voix d’Orléans. Une trentaine d’écrivaines du monde entier ou presque ont ainsi fait le déplacement avec un Appel lancé le samedi 9 octobre conjointement depuis Orléans par la mairie et le Parlement.
Parmi les moments forts de cette manifestation, on retiendra l’Appel d’Orléans prononcé le 9 octobre depuis l’Hôtel Dupanloup par Fawzi Zouari, présidente du Parlement des écrivaines francophones et dont voici le texte intégral :
Aux militantes, résistantes, actrices, et acteurs de la société civile investi.e.s dans le combat féministe, nous voulons joindre notre voix pour dénoncer les aberrations qui durent.
Comment se fait-il qu’une planète qui compte pour moitié des femmes continue à être dominée, commandée, gérée par une majorité d’hommes ?
Comment expliquer la présence, minime, des femmes dans les postes de décision et les organismes internationaux, dans des institutions censées parler de paix et de tolérance, oubliant de décliner ces deux valeurs au féminin ?
Peut-on admettre que certains régimes politiques continuent de se définir comme des démocraties, là où les femmes sont ostracisées, discriminées, parfois violées dans l’impunité totale ?
Peut-on parler de printemps révolutionnaire à propos de révoltes qui échouent à établir une véritable émancipation des femmes, quand elles n’aspirent pas ou n’appellent pas à leur asservissement ?
« Inventons un PLR, un Produit de Liberté Réelle pour les femmes »
Peut-on continuer à mesurer le progrès des sociétés à l’aune de leurs performances économiques, technologiques ou leurs PIB là où aucun progrès ne devrait mériter ce nom s’il n’inclut pas un PLR, oui inventons les mots et les initiales qui vont avec, un Produit de Liberté Réelle pour les femmes ?
Peut-on, tout simplement, adhérer à une formation politique ou une quelconque idéologie sans s’interroger sur son positionnement sur la question féminine et peut-on définir le progrès autrement qu’un projet de société égalitaire et digne pour les femmes ?
Peut-on, pour revenir à l’actualité et donner un exemple concret tendre la main au pouvoir des talibans, sans tremper dans un crime, s’allier à la barbarie, la dictature et le féminicide sous toutes ses formes ?
« La libération des femmes représente une solution aux épreuves de notre époque »
Bref, comment espérer une sortie des maux et des crises en continuant à nier la présence et l’apport des femmes, toutes ces séquences que nous traversons aujourd’hui, assaillies que nous sommes par la peur, le Covid, la perte des repères, les fractures sociales, les désastres humanitaires, les drames de l’immigration, la congrégation des mémoires douloureuses, les colères de notre planète, l’hostilité d’un environnement abîmé et détruit par nos caprices et nos abus prouvent que nous avons tout à perdre si l’on ne comprend pas une fois pour toutes que la libération des femmes représente une solution aux épreuves de notre époque ?
Alors, il faut savoir dire non. Non aux sempiternels principes de réalité et aux intérêts particuliers. Non à une prédominance masculine qui continue à trop percevoir et résoudre selon ses normes et en fonction de ses privilèges. Non aux dictatures qui prolifèrent, au prix de l’exclusion et du silence forcé des femmes. Non aux obédiences religieuses qui assoient leur pouvoir sur leur soumission.
Nous, écrivaines francophones appelons les États, les institutions, la société civile à travailler pour un monde qui se conjugue aussi au féminin, de la grammaire aux postes de pouvoir, de l’action sociale à l’oeuvre d’imagination, de la pensée à la performance manuelle. Nous revendiquons dans le sillage des femmes du Nord et des femmes du Sud, une planète cinquante-cinquante et des générations égalité. Un changement de logiciel des sociétés rétives à l’émancipation féminine, avec une action réelle sur les mentalités, au moyen de l’éducation et des politiques d’incitation, et un renforcement de la laïcité, seul rempart contre les dérives religieuses et sectaires.
Nous n’aurons pas honte de désigner du doigt certaines sociétés qui souvent, sous couvert des spécificités culturelles, visent à garder le même système de domination sur les femmes.
« Seules les valeurs universelles doivent nous guider »
Nous ne renoncerons pas devant le fait d’affirmer que seules les valeurs universelles doivent nous guider, encore moins d’interpeller certaines de nos soeurs qui se fourvoient en ralliant des courants machistes, confondant leur interêt avec celui de leurs oppresseurs, devenant les relais d’idéologies qui se fondent sur une idée de leur infériorité.
Enfin, nous oserons défendre la cause des écrivaines également, tant le fait d’écrire pour une femme expose dans de nombreux pays à être deux fois censurées, opprimées, persécutées. Le simple fait de dire « je », de s’écarter de la norme, du groupe, du clan, de la tribu est vue ou jugée comme un scandale. Sans compter cette constante, dans bien des pays où l’on continue à percevoir les autrices comme des auteurs de seconde catégorie, aliénant leur oeuvre à des circuits conçus et définis par des cercles masculins régnant en maîtres sur le secteur.
Et que dire de celles que l’on jette en prison pour avoir exprimé leur opinion politique, à l’instar de l’avocate iranienne Nasrin Sotoudeh, la romancière turque Asli Erdogan ou la militante féministe saoudienne Loujain Al-Hathloul et que le Parlement a soutenues publiquement. De même que nos membres se sont levés j’allais dire comme un seul homme, non comme une seule femme pour signaler le sort fait aux Afghanes par un pouvoir masculin qui s’énorguellit de sa course à contresens de l’histoire.
« Si l’écriture est solitaire, nos combats sont communs »
Les écrivaines qui constituent notre parlement viennent des quatre coins du monde. Elles sont de plusieurs origines, cultures, religions et couleur de peau. Et c’est une force que cette diversité. Une force qui nous permet de transcender les frontières et de parler au nom d’autres femmes. Si l’écriture est un métier solitaire, nos luttes et nos intérêts sont et seront communs.
Si l’écriture devait servir à quelque chose, elle servirait à instaurer le procès des répressions, surtout contre les femmes. Dès lors, il ne sera plus question de solitude puisque nous serons au coeur d’une lutte commune, à travers ce beau projet porteur de la promesse de l’humain qu’est la littérature. Notre désir : écrire la liberté, l’égalité, les fraternités, les sororités, les solidarités, terrasser les lieux communs, fraterniser avec nos frères de plume et de coeur, allumer l’incendie de tous les doutes, éteindre les haines mortifères, sanctifier l’amour, notre encre étant faite de larmes, de rires, de sang et d’audace.
Et quand ces écrivaines lancent l’Appel d’une ville qui s’appelle Orléans, cela ne peut qu’avoir un surplus de sens. Quand elles interpellent le monde à partir de la cité de Jeanne d’Arc, elles sonnent de nouveau l’heure de la résistance et du courage avec ce luxe de le faire dans une langue, le français qui véhicule les valeurs de liberté, d’égalité auxquelles nous ajoutons bien sûr la féminité.
« Cet appel marquera l’agenda du ralliement des écrivaines à la cause de leurs soeurs de sexe »
Cet appel n’est pas le premier ni le dernier du genre. Il ne servira pas de document politique en matière d’égalité mais il marquera l’agenda du ralliement des écrivaines à la cause de leurs soeurs de sexe, avec le concours d’une ville témoin de l’histoire dont le passé o combien féminin. Il marquera la date d’un enrôlement inédit et public des écrivaines sur le front de l’émancipation qu’elles déclineront en fictions, en poésies, en essais, en culture d’une façon générale de sorte que la cause féminine devienne aussi la cause de la littérature.
Sur la couverture de nos ouvrages, vous lirez en sous-titre invisible « pour les femmes ». Et à l’intérieur des pages, la feuille de route d’un programme qui résonne du même cri : vigilance. Un cri qui dit : « Nous veillons, nous ne laisserons pas nos soeurs dans tous les pays du monde se faire étouffer, écraser, assassiner sans reprendre leur étendard. Nous parlerons pour elles. Chaque fois qu’il le faudra, nous saurons faire entendre la rumeur secrète de leurs chagrins, et leurs cris étouffés dans un silence opaque et souvent complice. Et nous nous porterons au secours de celles qui ont osé braver les interdits, et pris la parole au risque de châtiments impitoybles.
Alors, ne tournez pas la tête, nous sommes là. Fortes de ces rendez-vous avec l’intelligence, la pensée et l’écriture dans cette ville d’Orléans qui aujourd’hui se fait notre voix. De son épicentre, nous dessinons de nouvelles cartes, celles qu’il faut pour rejoindre les horizons où il devient possible de dire au monde tout ce que nous les femmes avons à lui donner. Faisons en sorte que demain nous appartienne au moins pour moitié.