Alice Coffin, journaliste, féministe a été vivement critiquée, même attaquée à la sortie de son livre Le Génie Lesbien en octobre 2020. Son crime ? Avoir osé écrire qu’elle privilégiait désormais les oeuvres féminines. Décryptage d’un combat mal compris.
On est toujours partagé à la lecture d’une attaque sur le physique ou la sexualité d’une femme par un homme. Faut-il la relayer ou pas ? Pour ma part, je m’abstiens, refusant de faire la moindre publicité à ce genre de propos. Celle écrite par le Patriarche à l’égard d’Alice Coffin est particulièrement obscène, sexiste, insultante et j’en passe. On comprend mieux quand on découvre que sous le patronyme se cache une ex-association censée guérir les toxicomanes et qui a accumulé les scandales, y compris sexuels. Mais on aurait tort d’y voir la simple expression d’un homme (Lucien Engelmajer) en rage.
Un livre critiqué par des femmes « puissantes »
De fait, la violence de ses propos dépasse de loin celle supposée d’Alice Coffin. Cette dernière est ainsi montrée du doigt pour avoir affirmé dans son livre Le Génie Lesbien (octobre 2020) qu’elle se détournait de la production artistique masculine. Dit comme ça c’est vrai que ça paraît assez radical et définitif et je l’ai tout d’abord aussi pensé.
Car des critiques virulentes, il y en eu d’autres, venant parfois de femmes politiques, journalistes ou écrivaines connues. Ainsi, sur Europe 1, la journaliste Sonia Mabrouk (pourtant elle-même victime d’un portrait au vitriol dans Libération) n’a pas hésité à parler à Alice Coffin de « fatwa culturelle » et de « projet génocidaire moral« . Pour Marlène Schiappa il s’agit d’une « forme d’apartheid« . De son côté, l’écrivaine-philosophe Mazarine Pingeot a déclaré au Monde que « les actions menées contre les hommes de pouvoir étaient celles d’extrémistes de la médiocrité ». L’écrivaine Élisabeth Badinter emploie le terme de « néoféminisme guerrier ». J’ai gardé le meilleur par la fin avec la ministre déléguée à l’industrie Agnès Pannier-Runacher qui déclare sur LCI : »Alice Coffin, Éric Zemmour, même combat ! « (sic). La ministre a juste « oublié » les condamnations d’Éric Zemmour « pour des propos incitant à la haine« . Contrairement à Alice Coffin, dont les propos ne sont pas répréhensibles par la loi.
Une citation sortie de son contexte
D’où l’importance de se référer à la citation exacte qui certes garde son côté radical mais modère toutefois son propos, surtout à la fin : « Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations, écrit-elle. Je ne lis plus de livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie du moins. (…) Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. Commençons ainsi. Plus tard, ils pourront revenir.«
En fait, les critiques refusent de voir qu’Alice Coffin veut avant tout dénoncer la domination masculine qui prédomine encore dans de nombreux domaines, notamment dans les médias et la culture. Une domination certes moins brutale qu’autrefois. Comme le décrit très bien l’écrivaine Lydie Salvayre dans l’ouvrage choral SORORITÉ : « Mes soeurs Anne ont le courage de résister à l’ignoble Barbe-Bleue et à ses épigones, fort nombreux semble-t-il sous nos climats mais dont la plupart ont des façons moins bouchères que leur modèle et sont, par conséquent, plus difficiles à démasquer ».
Sororale même avec ses détractrices
Le mérite d’Alice Coffin est aussi de pratiquer une sororité « intégrale » comprenant les femmes qui la critiquent, parfois violemment, on l’a vu. C’est ainsi qu’elle a envoyé un mail à ses détractrices pour une discussion apaisée autour de son livre. Une démarche rapportée dans le livre SORORITÉ au chapitre Sister Insider. Et ces femmes ont dit oui à trois exceptions près, démolissant au passage l’idée selon laquelle les « femmes adorent se crêper le chignon« . Un cliché véhiculé par la gent masculine, qui a bien compris elle l’importance de se serrer les coudes.
Certaines ont reconnu être allées trop loin avec Alice Coffin. Ainsi, la ministre Agnès Pannier-Runacher a reconnu « ne pas avoir réalisé les proportions » déclenchées par sa petite phrase « Alice Coffin, Éric Zemmour, même combat ! « . Car cette saillie pour le moins malvenue a déclenché un torrent d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux à l’encontre de la féministe.
Mieux, Sonia Mabrouk a présenté ses excuses à Alice Coffin. La journaliste a en effet reconnu « avoir été très mal en constatant le cyberharcèlement consécutif à son interview matinale. » La sororité devient du coup un outil puissant de solidarité entre les femmes et c’est une excellente nouvelle.
Claire Boutin